Article écrit lors du démantèlement du camp de Roms dans lequel je me rendais chaque semaine, avec trois autres bénévoles, pour apprendre aux enfants quelques rudiments de français.
J'avais la grippe ce jour là. J’avais de la fièvre, des frissons, des douleurs. Une grippe intestinale m'a dit le médecin, un truc qui arrache les tripes et la tête mais qui ne dure que trois jours, et qui passe. Je suis restée au chaud, sous ma couette.
Ce matin-là, je n'ai pas pu m'y rendre, dans la froidure, la boue et l'insalubrité de leur camp. Je n'étais pas là. Chaque jeudi matin, les enfants nous attendaient,
s'appelant les uns les autres quand ils nous voyaient arriver. Il y avait de la joie, de l'espoir dans leurs yeux, et la grâce, surtout. Il y avait cette innocence qui ouvre à tous les possibles. Chaque semaine, on se rencontrait, on se découvrait, on s'apprenait. Les enfants, en quelques mois seulement, comprenaient le français et savaient dire des mots, des phrases pour les plus dégourdis. Ils chantaient des chansons. Ils espéraient pouvoir aller à l'école, mais malgré les démarches, le système n'a pas voulu. Ce n'est de la faute de personne, tout le monde se renvoie la balle, personne ne prend de risque.
L'école est un droit sur le papier, mais apparemment pas pour ceux qui vivent dans des maisons en carton. Pirouette cacahuète, cette chanson, ils la connaissaient par cœur.
Ce sont des enfants, ils n'ont rien demandé à personne. Ils viennent parfois pieds nus dans le gel ou dans la boue. Ce sont des enfants, ils ne se sentent pas rejetés, ils ne se rendent pas compte. Ce sont des enfants, ils pourraient être nos enfants. Ce sont les enfants de Dieu, le Dieu que nous prions. Ce sont des enfants ignorés, oubliés. Quels adultes deviendront-ils ?
Leurs parents vivent dans des réflexes de survie. Ils ne sont pas au courant des grands discours, autour de nos tables nappées, sur la notion d'intégration. Chaque instant, ils essayent de se débrouiller pour être au sec et nourrir leur famille. Les mamans soignent leurs enfants et les papas les endurcissent.
Durant ces quelques mois, nous avons vu plusieurs cabanes brûlées, une femme qui a perdu son enfant en accouchant... Ils vivent là, juste à côté de nous, ce sont nos frères, des êtres humains. C'est plus simple de fermer les yeux, c'est moins moche, moins sale. Si on en parlait, on ne saurait pas quoi dire, on se trouverait vite à court d'arguments. L’insupportable, on ne veut pas le voir, parce qu'on espère ne pas être concerné. Mais ils sont là, ils vivent, ils survivent, ils sourient, ils prient, ils sont bien là. C'est tellement difficile de l'admettre, ne parlons même pas de les accueillir.
Ce jeudi-là, j'avais la grippe, j'étais au chaud dans mon lit. Je pensais aux enfants. Je me disais que peut-être certains aussi étaient malades, atteints par le même virus qui est partout. Je me disais qu'avoir la grippe et rester dans le froid et l'humidité de ces masures devait être atroce. Je pensais que j'avais de la chance d’être bien au chaud.
Ce jeudi-là, les policiers sont venus. Nous en avions rencontrés, une fois, sur le camp, ils étaient gentils et exerçaient leur métier : garder la paix. Ce matin-là, des policiers avaient pour mission de prévenir les Roms que le bidonville serait démantelé dans deux semaines.
Ma grippe s'en est allée, les enfants du bidonville aussi...
Commentaires
bonne continuation sur VEF, belle écriture
oui la misère humaine elle est partout..
j'ai aussi fait (y a longtemps) de l'alphabétisation au foyer sonacotra à Nantes, où personne voulait y aller.
Merci
C'est un très beau témoignage.
Du coup..(pardon) j'ai oublié de citer l'auteur.
Extrait "Le livre de ma mère3" d'Albert Cohen.
Bonsoir Thérèse.
Je partage entièrement votre ressenti et votre révolte.
Pas plus inhumain qu'un humain!
"Que cette épouvantable aventure des humains qui arrivent, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, que cette catastrophe qui les attend ne les rende pas tendres et pitoyables les uns pour les autres, cela est incroyable.
Merci Thérèse.